ÉPIGRAPHES

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Le parler que j'aime, tel sur le papier qu'à la bouche, c'est un parler succulent et nerveux, court et serré; non tant délicat et peigné, comme véhément et brusque; plutôt difficile qu'ennuyeux; déréglé, décousu et hardi; -- chaque lopin y fasse son corps ! -- non pédantesque, mais plutôt soldatesque, comme Suétone appelle celui de Jules César. -- Montaigne.

Maynard, le poète toulousain (1582-1646) qui s'était retiré en province, vint à Paris un peu avant sa mort. Dans les conversations qu'il avoit avec ses amis des qu'il vouloit parler, on lui disoit: Ce mot-là n'est plus d'usage. Cela lui arriva tant de fois qu'à la fin il fit ces quatre vers:

En cheveux blancs, il me faut donc aller
Comme un enfant tous les jours à l'école.
Que je suis fou d'apprendre à bien parler
Lorsque la mort vient m'ôter la parole!

Voiture (1585-1650) qui était l'ami de Vaugelas, le railloit quelquefois sur le trop de soin qu'il employoit à sa traduction de Quinte-Curce. Il lui disoit qu'il n'auroit jamais achevé; que pendant qu'il en poliroit une partie, notre langue venant à changer, l'obligeroit à refaire toutes les autres. A quoi il appliquoit plaisamment ce qui est dit dans Martial de ce barbier qui étoit si longtemps à faire une barbe qu'avant qu'il l'eut achevée, elle commençoit à revenir... -- Raynal Anecdotes littéraires.

Pour m'expliquer mieux, je vous diray qu'il y a deux sortes d'usages (de mots nouveaux) le bon et le mauvais. Ce dernier est celui qui n'étant appuyé d'aucunes raisons, non plus que la mode des habits, passe comme elle en fort peu de tems. -- Il n'en est pas de même du bon usage Comme il est accompagné du bon sens dans toutes les nouvelles façons de parler qu'il a introduites en notre langue, elles sont de durée à cause de la commodité qu'on trouve à s'en servir pour se bien exprimer, et c'est ainsi qu'elle s'enrichit tous les jours Cependant il faut être fort réservé à se servir de nouvelles façons de parler -- Caillière, 1693.

Il est bon de se faire des notions claires des choses quand on le peut. Un autre Despréaux diroit peut-être de cet auteur (Ph. Leroux) ce que ce grand critique a dit de Regnier, que ses ouvrages se ressentent des lieux que fréquentoit l'auteur. Mais il ne faut que jeter les yeux sur la sécheresse de la matière pour laver celui-ci de ce soupçon . Il y a une longue liste de termes populaires qui n'est pas à dédaigner comme elle pourroit le paroître d'abord. Combien de personnes ,distinguées qui ne sont jamais sorties de la cour ou du grand monde, et qui, se trouvant quelquefois obligées de descendre dans de certains détails avec les gens du peuple ne comprennent rien à ce qu'ils leur disent! -- Zacharie Chastelain, 1750 (Critique du Dictionnaire comique de Leroux)

Dans une séance particulière de l'académie, Voltaire se plaignit de la pauvreté de la langue; il parla encore de quelques mots usités, et dit qu'il serait à désirer qu'on adoptât celui de tragédien par exemple. Notre langue, disait-il, est une gueuse fière; il faut lui faire l'aumône malgré elle -- Voltériana.

Qu'on me permette d'ajouter à ce propos que si la manie du néologisme est extrêmement déplorable pour les lettres et tend insensiblement à dénaturer les idiomes dans lesquels elle se glisse, il n'en serait pas moins injuste de repousser sous ce prétexte un grand nombre de ces expressions vives, caractéristiques, indispensables, dont le génie fait de temps en temps présent aux langues. Il n'appartient a personne d'arrêter irrévocablement les limites d'une langue et de marquer le point où il devient impossible de rien ajouter à ses richesses. -- Ch. Nodier. 1808 (Dict. des Onomatopées)

Quelque ennemi que je sois du néologisme! il faut bien créer ou adopter des mots nouveaux quand on n'en trouve pas dans la langue qui puissent, à moins d'une longue périphrase, rendre l'équivalent de votre idée. -- De Jouy , 1815

Il s'opère depuis quelque temps une révolution sensible de moeurs et de langage . Le langage surtout a subi d'heureuses altérations, des gallicismes raffinés et polis qui feront pester l'Académie et sourire agréablement les femmes élégantes. C'est tout profit pour les gens de goût. -- Roqueplan, 1842.

Disons-le, peut-être à l'étonnement de beaucoup de gens, il n'est pas de langue plus énergique, plus colorée que celle de ce monde... L'argot va toujours, d'ailleurs ! Il suit la civilisation, il lu talonne, il s'enrichit d'expressions nouvelles à chaque nouvelle invention. -- Balzac.

La langue argotique semble aujourd'hui être arrivée à son apogée; elle n'est plus seulement celle des tavernes et des mauvais lieux, elle est aussi celle des théâtres; encore quelques pas et l'entrée des salons lui sera permise. -- Vidocq, 1837.

Il en est de l'argot comme de certaines îles de la Polynésie: on y aborde sans y pénétrer; tout le monde en parle, et bien peu de personnes le connaissent. Nous qui ne sommes ni l'un ni l'autre, et qui ne possédons que notre curiosité pour passe-port, nous avons vainement fouillé les géographies sociales pour nous instruire.... Par-ci, par-là, un voyageur traverse ce Tombouctou parisien, et en ressort la tête farcie de mots bizarres qu'il répète sans les comprendre. -- Albert Monnier.

Quelque mérite qu'on ait, quelque érudition qu'on déploie, il est bien difficile, en étalant les mots hideux du vocabulaire des forçats, de ne jamais soulever le coeur et en rapportant nos lazzis populaires si usés, de ne pas exciter parfois un sourire de dédain; mais quand il ne s'agit plus de notre propre langue tout change d'aspect: les expressions repoussantes deviennent terribles les locutions vulgaires, spirituelles, et l'on est porté à croire bien injustement d'ailleurs, qu'il faut plus de savoir pour recueillir et expliquer ces termes étrangers que pour commenter ceux qu'on entend répéter chaque jour par les charretiers ou les manoeuvres. -- Marty-Laveaux.

En lisant la nomenclature des termes jadis propres aux conversations du brigandage et de la filouterie on devine d'une part qu'un certain nombre de ces termes ne subsisteront pas longtemps, et d'autre part on aperçoit que beaucoup ont pris droit de cité dans l'usage public Quel parisien même r ange, même prude, ignore absolument que l'eau d'affe, c'est de l'eau-de-vie; la bouffarde, une pipe; la dèche, les ennuis de la misère; que balle veut dire tête; curieux, juge; gazon, perruque, etc. ? Où n'entend-on pas ces mots-là? Les gros railleurs ont commencé par s'en servir, pour se donner un air de finesse et de liberté; mais bientôt ces mots narquois seront comme les doublures naturelles des termes correspondants et peut-être prévaudront-ils? - A. Morel, 1862.